15
Je ne dormis pas cette nuit-là. Je dînai tard et, le temps qu’Isis débarrasse, la cour s’était vidée. Je n’avais aucune envie d’aller me coucher. En dépit du vin que j’avais bu en compagnie du Prince et des chocs, agréables et douloureux, que j’avais reçus, je n’étais pas physiquement fatiguée. Je me sentais paisible, vidée de toute émotion. Isis dénoua et peigna mes cheveux, me démaquilla et m’aida à me dévêtir. Puis, après avoir soufflé la lampe, elle me souhaita bonne nuit et s’éclipsa. J’attendis que le bruit de ses pas s’éteigne avant de sortir de ma chambre et de m’avancer dans l’herbe fraîche.
Elle était douce à mes pieds et, comme toujours, je savourai cette sensation. L’air de la nuit était soyeux, lui aussi, et j’en sentais avec reconnaissance la caresse sur ma peau. J’allai m’asseoir contre le bassin, et je perçus aussitôt les vibrations apaisantes du jet d’eau à travers la pierre. De temps à autre, une fine poussière d’eau m’enveloppait, perlant de gouttelettes mes cheveux et les poils de mes bras, mais cela ne me dérangeait pas.
Une obscurité rêveuse régnait dans la cour. Autour de la lune, à moitié pleine, les étoiles brillaient à peine, mais leur éclat s’avivait loin de sa pâle lumière. La plupart des chambres étaient fermées. Une ou deux portes étaient encore entrouvertes et les lampes, à l’intérieur, répandaient une lueur orange vacillante qui n’éclairait guère que le seuil avant de se perdre dans l’obscurité luxuriante de la pelouse.
Les genoux contre la poitrine, je m’abandonnai à l’étrange état d’esprit qui s’était emparé de moi. Tous les sens en éveil, j’étais sensible au moindre souffle d’air frôlant ma peau, au moindre bruissement dans l’herbe, comme si la disparition de toute émotion exacerbait mes perceptions. Mon esprit aussi semblait vidé : aucune bribe de pensée, aucune succession d’images confuses ne le traversait. Purgé et nettoyé, il attendait d’être rempli de pensées saines.
Houi l’occupa d’abord, et malgré la colère et l’indignation que j’avais laissées éclater devant le Prince en apprenant qu’une audience privée lui avait été accordée, je dus m’avouer que la nouvelle ne m’avait finalement pas surprise. C’était comme si mon ka ne s’était pas attendu à moins de la part d’un homme qui avait toujours été mystérieux et imprévisible.
Houi s’était arrangé d’une façon ou d’une autre pour être reçu par Pharaon. Mieux encore, il avait convaincu le Roi de lui permettre de plaider sa cause en privé. Pas de juge, seulement le dieu en personne pour l’entendre et décider. Comment s’y était-il pris ? Avait-il vu le danger qui le menaçait dans l’huile divinatoire et s’était-il glissé dans le palais avant que son assignation à résidence ne soit prononcée, misant tout sur la certitude de pouvoir nier les faits et fléchir Pharaon ? Après tout, il avait été le médecin personnel du souverain pendant de nombreuses années. Une relation qui inspire de la confiance à l’un et confère de l’autorité à l’autre. Le Prince m’avait néanmoins assuré que j’approuverais la sentence, si je la connaissais.
Non… quand je la connaîtrais. Qu’est-ce que cela signifiait ? Je savais en effet au plus profond de moi que Houi était vivant. Et pourquoi le Prince m’obligeait-il à rester dans le harem jusqu’à l’expiration du délai accordé aux autres condamnés ? Quelle mesure pouvait-il avoir à prendre qui influe sur mon avenir ? Le Roi y avait déjà pourvu avec générosité. Quelle était la raison de son entretien avec Men ? Cela concernait-il Kamen ? Je ne pouvais répondre à toutes ces questions que par des suppositions, et je finis par les chasser de mon esprit. Tout ce que je savais, c’était que Houi vivait. En étais-je heureuse ou triste ? Ni l’un ni l’autre, et les deux à la fois. Quand il était question de Houi, aucune de mes émotions n’était jamais simple. Je cessai de réfléchir à tout cela et m’abandonnai à la beauté de la nuit. J’étais toujours assise près du bassin quand les premières lueurs grisâtres de l’aube commencèrent à masquer les étoiles.
Aucun incident particulier ne marqua les trois journées suivantes. Je les passai à penser à Pharaon, car des rumeurs inquiétantes couraient sur son état de santé, et l’humeur était mélancolique dans le harem. J’aurais voulu honorer cet homme qui avait lié ma vie à la sienne pendant une période si brève, et dont l’ombre avait pourtant flotté sur chaque moment de ces dix-sept dernières années. Mais il ne souhaitait plus me revoir, et je ne pouvais lui rendre hommage qu’en silence, en esprit. Je pensai donc à lui, à sa voix, à son rire, au contact de ses mains sur mon corps, à la froideur glacée de ses rares colères, et tous les soirs, je fis brûler de l’encens devant mon dieu protecteur et priai les autres dieux de rendre son passage facile et de l’accueillir avec joie dans la Barque céleste.
Mais beaucoup de concubines discutaient moins de leur maître mourant que de leur avenir. Le nouveau Roi dresserait en effet l’inventaire de la maison des femmes, et celles qu’il ne désirerait pas garder quitteraient les lieux. Certaines pourraient reprendre leur liberté. Les jeunes resteraient sans doute. Mais les plus âgées et les infirmes seraient conduites dans le Fayoum. Je m’étais rendue une fois dans ce harem avec Pharaon, et j’y avais eu un aperçu du sort qui aurait pu être le mien, un jour. C’était un endroit tranquille, mais d’une tranquillité qui annonçait la mort ; et ses chambres abritaient les enveloppes desséchées de celles qui avaient autrefois été la fleur de la féminité égyptienne. J’avais été bouleversée par cette visite au point d’être incapable ensuite de sacrifier comme il convenait au dieu Sobek, qui avait un temple dans les environs. Ce terrible destin m’était désormais épargné, et je plaignais les femmes du harem qui n’échapperaient pas à cet exil, si doré soit-il.
Le quatrième jour, un héraut vint se poster au centre de la cour et proclama que les criminels Mersoura, Panauk et Pentou avaient exécuté la sentence prononcée contre eux. Il ne mentionna ni Paiis, ni Hounro. Je n’éprouvai rien en entendant sa voix sonore se répercuter de chambre en chambre, sinon peut-être un léger soulagement, et quand l’homme fut parti annoncer la nouvelle dans le bâtiment suivant, je gagnai le bassin situé juste en dehors de l’enceinte du harem, me dévêtis et y nageai jusqu’à ce que tous mes membres tremblent de fatigue.
Je m’étendis ensuite dans l’herbe pour me sécher au soleil et sentis sa chaleur évaporer les gouttelettes d’eau, puis me brûler la peau. La lumière était presque insupportable, même les yeux fermés, et un air embrasé m’emplissait les poumons. Vivante, murmurai-je. Vivante ! Quel bonheur d’être en vie ! Lorsque je ne pus en supporter davantage, je roulai à l’ombre de l’arbre le plus proche et restai là, nue et insouciante, dans une sorte d’extase.
Le cinquième jour, un autre héraut pénétra dans notre cour, mais cette fois son message m’était destiné. J’étais assise devant ma porte, savourant un pot de bière, maquillée et habillée depuis peu, lorsqu’il s’inclina devant moi. Il parla à voix basse, après s’être assuré que personne ne pouvait l’entendre : « Le Prince a reçu une supplique de la prisonnière Hounro, dame Thu. Elle souhaite te voir. Comme tu le sais, les nobles condamnés à se donner la mort ont le droit de demander ce qu’ils veulent, dans les limites du raisonnable, que ce soit du vin, des mets délicats ou une dernière visite des êtres qui leur sont chers. Le Prince ne t’ordonne pas de satisfaire le dernier désir de Hounro. Il se contente de t’en informer en te laissant entièrement libre de tes actes. Rien ne t’interdit de refuser.
— Mais que peut-elle bien me vouloir ? fis-je, perplexe et mal à l’aise. Il n’y a aucune affection entre nous. Je ne lui serais d’aucun réconfort. Son frère n’est donc pas auprès d’elle ?
— Il vient la voir tous les soirs et reste jusqu’à l’aube. Hounro ne parvient pas à dormir. Il lui est impossible… de faire quoi que ce soit.
— Oh non, murmurai-je, frissonnant dans la brise qui me paraissait si agréable un instant auparavant. Non. Je ne peux pas… Je ne veux pas ! Comment ose-t-elle ? Elle pense donc encore que je ne vaux pas mieux que la meurtrière qu’ils m’ont poussée à devenir ? Elle a donc toujours le même mépris pour moi ? » Blessée profondément, j’avais les larmes aux yeux. Je ne serais jamais débarrassée du poids de la culpabilité, jamais ! Je pouvais l’oublier quelque temps, peut-être même jouir d’un semblant d’équilibre, mais je porterais toujours cette marque comme une flétrissure invisible. Meurtrière.
Le héraut attendit sans faire de commentaire, tandis que, le visage enfoui dans les mains, je luttai pour reprendre mon sang-froid. Puis, sans lever les yeux, je déclarai d’une voix faible : « Informe son Altesse que j’irai voir Hounro. Dis-lui de m’envoyer une escorte cet après-midi. » Après tout, pensai-je avec amertume en le regardant s’éloigner, les meurtriers sont faits pour ça : tuer. Hounro a de la chance d’avoir une aussi grande spécialiste sous la main. Ô dieux ! priai-je. Aidez-moi à ne pas accabler Hounro de propos fielleux alors que son désespoir doit déjà être indescriptible.
Une heure après midi, un soldat arriva et, ensemble, nous traversâmes les jardins du palais, dépassâmes les chambres des domestiques pour gagner l’immense champ de manœuvres poussiéreux où s’entraînait l’armée. Isis tenait le parasol, qui ne projetait qu’une mince flaque d’ombre autour de mes pieds dans la lumière éblouissante de la mi-journée. À l’autre extrémité du terrain, vibrant dans la brume de chaleur, il y avait la caserne et les écuries. Je vis quelques soldats paressant à l’ombre des baraquements, mais c’était l’heure de la sieste et l’immense espace était désert, martelé par un soleil impitoyable.
Les cellules étaient adossées au mur qui entourait le quartier des domestiques. Je m’en souvenais bien. Malgré moi, mon regard se porta vers celle que j’avais occupée, et où se trouvait à présent Paiis. Deux gardes flanquaient sa porte, mais je ne discernai aucun mouvement derrière les barreaux. Le soldat me conduisit à la cellule voisine et, sur son ordre, l’homme de service défit le nœud épais qui fermait la porte. J’attendis, redoutant tout à coup que Paiis ne choisisse cet instant pour tomber sur son épée ou se trancher la gorge, et qu’il ne me faille entendre ses râles d’agonie. Mais la porte fut ouverte sans incident. Je me tournai vers Isis. « Attends-moi là-bas, à l’ombre de cet arbre, dis-je. Ne reste pas au soleil. » Puis je suivis le soldat à l’intérieur.
L’odeur m’assaillit aussitôt, un mélange fétide d’urine, de sueur et de terreur si puissant que, l’espace d’un instant, le soldat devint mon geôlier et que je fus de nouveau une jeune concubine condamnée à mort. La porte se referma derrière nous. Il n’y avait pas grand-chose à voir dans la pièce : un lit et un coffre ouvert rempli de robes ; une table où étaient posés une lampe et de jolis récipients contenant des produits de beauté ; une natte de jonc et des paires de sandales. Les effets de Hounro semblaient trop voyants et frivoles dans cette antichambre puante et désespérée de l’éternité.
Elle était accroupie dans un coin, derrière la table, et lorsqu’elle me vit, elle poussa un cri et s’élança vers moi, m’étreignant les deux mains et balbutiant des paroles incohérentes. Elle était pieds nus et ne portait qu’une robe souillée qui avait un jour été blanche. Ses cheveux, sales et dépeignés, pendaient en tresses poisseuses dans son dos. Elle avait les ongles noirs de crasse. Si elle s’était promis de rester digne lorsque la lourde porte s’était refermée sur elle, la peur de la mort avait eu raison de cette promesse, car il était évident que les produits de maquillage, les huiles et le henné n’avaient pas été utilisés.
« Où est ta servante, Hounro ? » demandai-je d’un ton brusque. Elle s’écarta un peu, tremblante, mais sans me lâcher les mains.
« Je ne supportais plus sa présence, murmura-t-elle. Elle n’arrêtait pas de me demander si je voulais porter ci ou ça, quel fard je voulais pour mes paupières, comme si j’allais banqueter au palais au lieu de… de… Et elle m’insultait en ne me donnant pas mon titre. Banemus m’a obligée à me laver et à m’habiller. C’était stupide. Pourquoi devrais-je me laver pour mourir ? Je l’ai renvoyé, lui aussi. » Elle parlait avec un peu plus de calme, mais je voyais que cette accalmie était précaire. La folie brûlait dans les yeux brillants qu’elle posait sur moi.
« Tu as demandé à me voir, lui rappelai-je, en tâchant de garder un ton uni. Que veux-tu ? » Elle jeta un regard méfiant au soldat et se glissa près de moi.
« Je n’y arrive pas, Thu, chuchota-t-elle. Je ne peux pas. La nuit, je suis terrifiée et je pleure. Le jour, je crois que je vais en être capable et que tout ira bien. Après tout, mon ka survivra dans le paradis d’Osiris et s’assiéra sous le sycomore sacré, n’est-ce pas ? Mais ensuite, je me dis : et s’il n’y avait ni paradis, ni arbre, ni Osiris ? S’il n’y avait que le néant ? Alors mon courage m’abandonne et je me dis que je réessaierai le lendemain. Mais il ne me reste plus que deux jours ! » Elle se mit à gémir, lâchant mes mains pour tirer sur ses cheveux déjà embroussaillés. « Si je n’y arrive pas, ils entreront ici et me trancheront la tête à coups de hache !
— Écoute-moi, Hounro, dis-je d’un ton ferme, bien que sa détresse me bouleverse. Tu as été condamnée à mettre fin à tes jours. Tu dois affronter le fait que tu vas mourir. Tu peux le faire avec courage et sang-froid, ou les obliger à t’abattre comme un chien. Il vaudrait mieux, pourtant, que tu sois lavée et vêtue comme la femme de qualité que tu es, et que tu fasses brûler de l’encens à ton dieu protecteur en prévision du voyage que tu vas entreprendre. Il est inutile d’attendre un miracle. Tu ne seras pas sauvée. C’est la vie même qui lutte en toi, une force puissante et aveugle.
— Mais toi, tu as été sauvée ! hurla-t-elle. Un miracle s’est produit pour toi, alors que tu étais une meurtrière, que tu avais tué Hentmira et empoisonné Pharaon. Je ne lui ai jamais rien fait. Pourquoi dois-je mourir ? C’est toi qui devrais être à ma place ! »
J’aurais pu essayer de raisonner avec elle, mais tout ce que j’aurais dit n’aurait fait qu’accroître son hystérie, et je n’avais d’ailleurs aucune envie de me justifier devant cette femme désespérée. Cela aurait été cruel et égoïste. « Oui, c’est vrai, déclarai-je. Mais ça n’est pas le cas. Je te plains de tout mon cœur, Hounro. Permets que j’ordonne à ta servante de revenir s’occuper de toi, et que j’envoie chercher ton frère.
— Cela me donne la nausée de te voir singer tes supérieurs, cracha-t-elle. « Permets que j’ordonne à ta servante… » De belles paroles et un accent cultivé ne masqueront jamais ton sang épais de paysanne ! » Sans un mot, je pivotai et me dirigeai vers la porte. Mon garde fit mine de l’ouvrir, mais Hounro se mit alors à hurler : « Ne m’abandonne pas, Thu ! Je t’en supplie ! Aide-moi ! »
Je n’avais pas envie de l’aider. J’aurais aimé l’abandonner à sa lâcheté, à sa crasse et à ses regrets. Mais je savais que, si je quittais cette cellule, elle hanterait à jamais mes pensées. Revenant vers elle, je la giflai avec force, puis la pris dans mes bras quand elle s’effondra contre moi en sanglotant. Je l’aidai à s’allonger, puis la berçai longuement en lui caressant les cheveux jusqu’à ce que ses pleurs deviennent moins frénétiques. Finalement, elle se redressa et posa sur moi des yeux ruisselants de larmes où ne brillait plus la flamme de la folie. « C’est si dur, murmura-t-elle.
— Je sais, Hounro. Mais il y a les médecins du palais, et Banemus aussi. Pourquoi ne t’es-tu pas adressée à eux ?
— Parce que je ne leur fais pas confiance. J’ai été condamnée pour trahison et sacrilège, pour avoir comploté l’assassinat de Pharaon. Ils se vengeraient en me donnant un poison qui me tuerait lentement et en me faisant souffrir.
— C’est absurde ! Tu ne peux croire cela de Banemus, en tout cas.
— Non, mais il ignorerait quel produit se faire donner. Je sais que c’est beaucoup te demander, poursuivit-elle d’un ton hésitant. Je ne mérite pas ton aide. Mais tu es médecin, Thu : tu connais bien les plantes. Accepterais-tu de me préparer quelque chose qui m’endormirait sans douleur, qui me ferait juste… glisser dans la mort ? »
Comprenait-elle l’énormité de ce qu’elle me demandait ? La terrible ironie de sa requête ? C’était presque plus que je n’en pouvais supporter. Je représente vraiment moins pour toi que la poussière sous tes pieds, pensai-je avec tristesse. Tu ne vois en moi qu’un instrument utilisable encore et encore pour les mêmes fins sordides. « Je le ferai si tu rappelles ta servante et Banemus, si tu demandes un prêtre et que tu te prépares dignement, dis-je avec calme. Tu es d’une famille noble et ancienne. Ne trahis pas tes ancêtres en t’avilissant devant la mort. » Je me levai, et elle m’imita, les yeux brillants maintenant de fièvre. Elle voulut reprendre ma main, mais je m’écartai.
« Je le ferai, promit-elle. Merci, Thu.
— Ne me remercie pas, répondis-je sans la regarder. On ne mérite aucune reconnaissance quand on apporte la mort. Je t’enverrai une potion demain. » Je ne savais pas si elle m’avait entendue ou non. Je m’approchai du soldat. « Ouvre-moi », murmurai-je. Mais Hounro avait sans doute retenu mes dernières paroles, car elle dit : « Tu me l’apporteras toi-même, n’est-ce pas, Thu ?
— Non, réussis-je à répondre, alors que la lumière bienfaisante du soleil m’enveloppait. Cela, je ne peux pas le faire. Adieu, Hounro. »
La porte se referma derrière moi. De l’autre côté du champ de manœuvres, je vis Isis se relever, le parasol à la main, et se diriger vers moi. Je dus me forcer à l’attendre, car j’avais envie de fuir, de courir à perdre haleine loin de la requête pathétique de Hounro et de mon propre mal, de m’enfermer dans ma petite chambre rassurante et de m’enivrer avec le bon vin de Pharaon.
Mais alors que j’attendais, tendue, l’instant où je pourrais enfin m’éloigner, on bougea dans la cellule voisine et une voix familière résonna : « J’ai entendu Hounro hurler, et il m’a semblé reconnaître ta voix, dame Thu. Comme c’est aimable à toi de rendre visite aux condamnés ! » Je fermai les yeux. Pas maintenant ! pensai-je avec désespoir. Pas maintenant, par pitié ! Isis m’avait presque rejointe, et je me tournai vers elle.
« Tu fais plaisir à voir, poursuivit Paiis. Belle, vibrante et frémissante d’indignation. Ne me bats pas froid, Thu. Tu y as mis le temps, mais tu as gagné. Tu m’as vaincu. Ne pouvons-nous pas échanger quelques mots amicaux, à présent ? » Isis était là. Je sentis l’ombre du parasol au-dessus de ma tête et jetai un coup d’œil dans la direction de Paiis. Il me regardait à travers les barreaux de la porte, et ses mains ornées de bagues scintillaient dans la lumière. Lorsque nos yeux se rencontrèrent, il m’adressa un sourire singulièrement doux.
« Ce n’était pas un combat, répondis-je avec brusquerie. Ni un jeu. Il s’agissait de ma vie et de celle de Kamen, un jeune homme qui gardait ta maison avec sérieux et conscience. Tu es un homme sans scrupules. Pourquoi devrais-je te parler avec amitié ? Où étais-tu lorsque l’on m’a enfermée dans ma cellule pour m’y laisser mourir ?
— Chez moi, en train de me soûler et de regretter de ne jamais t’avoir mise dans mon lit, dit-il aussitôt. C’est la vérité. Je ne suis qu’un déchet nuisible dont il vaut mieux se débarrasser, tu as raison. Je doute que les dieux eux-mêmes veuillent de moi, mais jusqu’à ce qu’ils soient contraints de décider, je mange, je bois et je me fais jouer mes airs favoris par mes musiciens. Partageras-tu une coupe de vin avec moi ? Un bon cru, je t’assure, venu des vignobles qui m’appartenaient. »
À mon propre étonnement, je m’avançai vers sa porte. Il adressa un geste impatient à l’un de ses gardes, qui commença à dénouer la corde.
« Tu n’es pas obligée d’accepter, dame Thu, remarqua avec calme l’homme qui m’accompagnait.
— Oh, mais si, coupa Paiis. Il faudrait avoir un cœur de pierre pour refuser la dernière requête d’un condamné à mort.
— Reste avec moi », dis-je au soldat, et tandis que Paiis s’effaçait et s’inclinait, je pénétrai dans la cellule où j’aurais dû mourir dix-sept ans auparavant.
Il s’était entouré d’objets luxueux. Deux chaises en cèdre incrustées d’or et d’ivoire encadraient une table basse du même bois au plateau de marbre veiné. Celle-ci supportait un petit sanctuaire en or, dont les portes ouvertes révélaient une statue délicate de Khonsou, le grand dieu de la guerre. Une cassolette d’encens en argent brûlait à côté, et l’inévitable puanteur des précédents occupants de la cellule était masquée par le parfum de la myrrhe. Une lampe en albâtre imitant une fleur de lotus éclairait la pièce. Son lit recouvert de draps de lin fin disparaissait presque sous les coussins. Un grand tapis couvrait le sol. Le peu d’espace qui restait était occupé par des plats remplis de pâtisseries, de fruits secs luisants de miel, de viandes froides, de tranches de pain… Me faufilant entre cette profusion d’objets, j’allai m’asseoir sur la chaise que m’indiquait Paiis, et il prit place sur l’autre.
« J’attendrai l’ultime heure de l’ultime jour pour me donner la mort, dit-il en versant du vin dans deux grandes coupes en argent. Et jusque-là, je compte ne rien me refuser. À ta remarquable santé, dame Thu. Puisses-tu en profiter longtemps. » Il but, sans me quitter des yeux, mais je ne l’imitai pas. Sa gaieté était-elle une forme de dérangement mental ou une acceptation véritable de la mort ? Je penchais pour la seconde hypothèse. Son courage avait vacillé un instant dans la salle du Trône, quand les juges qu’il avait circonvenus avaient été démasqués, mais il avait retrouvé son sang-froid et n’aurait plus d’autre moment de faiblesse. Lascif et cynique, rusé et intelligent, il était aussi un soldat discipliné et un noble égyptien. Le moment venu, il se plongerait l’épée dans le ventre sans hésitation.
Reposant sa coupe, il se cala dans son siège et croisa les jambes. « Elle hurle et sanglote toutes les nuits, dit-il avec plus de gravité. Je l’entends de l’autre côté du mur. Je la réconforterais si je le pouvais, mais je n’ai pas le droit de quitter ma cellule. Elle était pleine de séduction autrefois, avec son corps de danseuse et son esprit indépendant. Qui sait ce qu’elle serait devenue si nous étions parvenus à nous débarrasser de Pharaon ?
— Tu n’as pas le moindre remords », remarquai-je. Son beau visage s’éclaira.
« Pas le moindre, répondit-il en me souriant. Si l’arsenic que tu avais donné à Hentmira avait tué Ramsès, si Banemus avait fait ce qu’il était censé faire et qu’il eût poussé l’armée du Sud à la révolte, nous serions devenus les maîtres de l’Égypte. Nous aurions remis les prêtres à leur place, restauré l’autorité pharaonique en installant sur le trône quelqu’un de notre choix et commencé à reconstituer l’empire que nos ancêtres gouvernaient. Ah, c’était un beau rêve, continua-t-il avec un soupir. Mais comme la plupart des rêves, il n’avait pas assez de substance pour devenir réalité. C’est bien dommage. Pourquoi devrais-je avoir des remords, ma chère Thu ? Je suis un patriote.
— Il ne t’est jamais venu à l’esprit que si Maât était effectivement corrompue, vous auriez réussi ? Qu’elle se sert de nous pour accomplir ses justes desseins, mais que si nous voulons changer les choses de force et sans nécessité, elle nous abandonne simplement aux conséquences de notre vanité ?
— Thu, la philosophe, railla-t-il gentiment. Thu, championne du droit. De telles paroles sonnent un peu creux dans la bouche d’une femme ambitieuse et sans scrupules comme toi. Oh, ne te méprends pas ! ajouta-t-il devant mon expression. Je ne cherche pas à t’insulter. Lorsque tu étais jeune, ton ambition était une force capricieuse, dangereuse, imprévisible et totalement égoïste. Comment aurions-nous pu nous servir de toi, autrement ? Aujourd’hui, elle est canalisée, purifiée, orientée vers la réparation d’un tort et le rétablissement de l’ordre, dans ta vie comme dans celle de l’Égypte. C’est une ambition saine, Thu, mais c’est toujours de l’ambition. En quoi sommes-nous donc différents ? Deux êtres que les dieux ont voulus semblables, dont même les motivations ont été similaires. Comment se fait-il que nos destins soient si différents ? » Je n’avais rien à lui répondre. Pour dissimuler mon trouble, je pris ma coupe de vin et en bus une gorgée. J’avais le désagréable sentiment qu’il avait raison. « Je n’en sais rien, poursuivait-il. Peut-être les dieux ont-ils simplement décidé de favoriser un courage en toi que je n’ai pas. » Je cherchai son regard, désireuse d’exprimer le soudain élan de sympathie qui me poussait vers lui, mais je pus seulement dire : « Pareille humilité ne te va pas, Paiis. Je crois que je te préfère arrogant et plein d’assurance. » Il rit, et le moment d’intimité passa.
« J’ai fait d’immenses efforts pour te réduire au silence, dit-il. Je suis content aujourd’hui qu’il se soit révélé impossible de te tuer. Tu as souvent occupé mes pensées depuis ce banquet où Houi nous avait réunis pour que nous évaluions tes capacités à devenir une concubine royale.
— Je t’ai vu bien avant cette soirée, dis-je avec tristesse. J’étais chez Houi depuis peu de temps. Quand Disenk avait soufflé ma lampe et quitté ma chambre, je me mettais à la fenêtre pour contempler la nuit. Un soir, très tard, à la fin d’un banquet, j’ai regardé les invités partir. Tu es sorti dans la cour. Une Princesse ivre essayait de te convaincre de la raccompagner, mais tu as refusé. Tu l’as embrassée. Tu portais un pagne rouge. Je ne savais pas qui tu étais, mais tu étais vraiment beau comme un dieu, Paiis, en train de rire dans la lumière des torches. Et j’étais si jeune, si pleine de rêves naïfs. Je n’oublierai jamais. »
Je n’avais pas eu l’intention de lui dire cela. Ce souvenir, si vivace, que les événements ultérieurs n’avaient curieusement pas souillé, m’était précieux, et je redoutais une réponse salace ou banale qui corrompe sa pureté. Mais il resta étrangement silencieux.
« Maudite sois-tu, murmura-t-il enfin d’une voix rauque. Pourquoi faut-il que tu me rappelles que j’ai été jeune un jour, moi aussi ? Un jeune garçon plein de cette innocence qui peut transformer un petit incident sordide de ce genre en histoire romanesque. Cet enfant a disparu sous l’accumulation progressive de la nécessité, des décisions désagréables et des expériences de la vie de soldat, des pièges insidieux de la facilité. Je n’avais pas envie de le voir ressuscité aujourd’hui. Pas maintenant ! Il est trop tard ! » Je ne fis pas un mouvement et, après un combat intérieur que je devinai plus que je ne le vis, il se maîtrisa et se tourna de nouveau vers moi. « Je suis désolé, Thu, dit-il. Désolé de ne pas avoir été à la hauteur de l’image que tu t’étais faite de moi, désolé d’avoir participé à ta corruption. Je crois que c’est mon unique regret. Allons, finis ce vin et séparons-nous. »
Émue, je portai la coupe à mes lèvres. Paiis m’imita, et une atmosphère solennelle nous enveloppa soudain. C’était comme si sa confession avait modifié l’air même de cette pièce misérable, y faisant régner une paix majestueuse. Une grande sérénité s’empara de moi, au point que j’oubliai la tâche répugnante dont je m’étais chargée pour Hounro, oubliai que j’avais voulu me soûler. Nous bûmes notre vin et nous levâmes d’un même mouvement, unis par un sentiment étrange et fugitif de camaraderie. Paiis posa une main sur ma nuque et m’embrassa dans un geste affectueux et curieusement familier. « Si tu trouves Houi un jour, salue-le de ma part », dit-il en s’écartant. Je me rendis compte alors que ma bouche avait reconnu la sienne à cause de celle de son frère. « Oh oui, poursuivit-il. Je sais qu’il est en vie, mais pas où il est. Il menace moins la stabilité de l’Égypte que moi. Quelque chose me dit que vous n’en avez pas encore fini l’un avec l’autre. »
Nous nous étions avancés vers la porte. Alors que je me tournais vers le soldat, Paiis pressa ses deux paumes et son front contre le bois. « Ah, la liberté ! murmura-t-il d’une voix étranglée par l’émotion. Prie pour moi à la Belle Fête de la Vallée, Thu. Crie mon nom. Peut-être qu’ainsi les dieux me trouveront. » Il n’y avait rien de plus à dire. J’effleurai son épaule, encore ronde et ferme, chaude de vie, et il se recula. La porte s’ouvrit. Cette fois, Isis était là, et je m’éloignai aussitôt. Je ne me retournai pas.
Je bus avidement lorsque je retrouvai le confort et la sécurité de ma chambre, et seulement de l’eau. Puis je m’étendis sur mon lit et pleurai, longtemps, mais sans être la proie de sentiments tumultueux. Je ne pleurai pas sur Hounro, sur Paiis, ni même sur moi. Mes larmes coulaient parce que la vie était comme elle était, morne et dure pour certains, facile et pleine de promesses pour d’autres, un voyage semé de rêves inaccomplis et d’espoirs brisés pour beaucoup. Épuisée, je finis par sombrer dans un sommeil paisible, dont je fus réveillée, au coucher du soleil, par l’odeur de la soupe fumante et du pain frais apportés par Isis.
Tout en mangeant, je réfléchis au poison à donner à Hounro. Je le fis avec autant de calme et de réflexion que je le pus, tâchant de repousser le tourbillon de colère et de souffrance qui menaçait de me happer au profit du fonctionnement purement raisonnable de mon esprit. Au moment de ma propre arrestation, on m’avait enlevé le coffret contenant les remèdes donnés par Houi, ainsi que les papyrus décrivant diverses maladies et leur traitement. Et il m’avait été interdit de pratiquer le métier qui m’avait été enseigné si bien et avec des résultats si désastreux. Quelques jours plus tôt, j’avais choisi un assortiment de plantes dans les magasins du harem, mais je n’en avais pris aucune de nocive. À présent, il me fallait entreprendre de retrouver ces connaissances que j’avais si longtemps chassées de mon esprit.
Ce n’était pas facile, car je devais me rappeler les circonstances dans lesquelles elles m’avaient été transmises, et cela en soi était déjà un supplice. Le grand bureau de Houi et, à l’intérieur, la minuscule officine aux étagères encombrées de récipients d’argile, de flacons en pierre, de sacs de lin pleins de feuilles séchées et de racines. La façon dont je me tenais à côté de lui, calame et papyrus à la main, pendant qu’il maniait mortier et pilon en m’expliquant de sa voix calme et grave ce qu’il faisait et pourquoi. L’odeur des ingrédients eux-mêmes, si forte dans certains cas qu’elle donnait mal à la tête, et parfois délicate, se mêlant agréablement au parfum de jasmin porté par Houi.
Le jasmin. Je repoussai mon assiette vide et posai les bras sur la table, regardant distraitement la lumière dorée de la lampe jouer sur les poils fins de ma peau. Le jasmin jaune tue. Toutes les parties de la plante – fleurs, feuilles, racines, tige – sont mortelles. À haute dose, l’effet est rapide mais accompagné de symptômes désagréables : angoisse et convulsions. La mandragore aussi était efficace, mais en quantité suffisante pour provoquer la mort, elle était également redoutable. Je le savais par expérience. Avec un serrement de cœur, je me rappelai Kenna, le serviteur personnel de Houi, dont j’avais causé la mort avec un mélange de bière et de mandragore, simplement par jalousie et par peur. Il était mort dans la puanteur abominable de ses vomissures et de ses excréments.
Alors la passiflore, peut-être ? Je poussai un soupir, et la flamme de la lampe vacilla, faisant tournoyer mon ombre voûtée sur le mur. On l’utilisait comme appât pour détruire les hyènes, et quelque chose en moi s’éveilla et savoura l’ironie qu’il y aurait à l’utiliser avant que ma volonté ne lui impose silence. Peu importait que cette plante provoque une somnolence aboutissant à la paralysie et à la mort sans effets secondaires violents. Je devais refuser et étouffer ce soupçon de jubilation si je voulais pouvoir retrouver une quelconque tranquillité d’esprit ensuite.
Je continuai à réfléchir. Le tue-chien était puissant. Il pouvait être bu, respiré sous forme de poudre ou frotté sur la peau. Mais comme tant d’autres substances toxiques, il provoquait des spasmes, puis des convulsions si fortes que la victime mourait tendue comme un arc.
La joue posée contre mon bras, je regardai la pièce, éclairée d’une lumière douce, envisageant puis rejetant une possibilité après l’autre. Mon anxiété augmentant, la maîtrise que j’exerçais sur moi-même s’affaiblit. Des murmures et des réminiscences filtrèrent à travers les failles, montèrent des ténèbres où mon âme hurlait, remplie de désespoir et de dégoût pour elle-même. Lorsque je sus que le bruit de ses plaintes allait atteindre ma bouche, je me levai, enfilai mes sandales, jetai un manteau sur mes épaules et sortis.
Priant pour que le Gardien de la Porte soit encore dans son bureau, je dépassai d’un pas rapide le bâtiment des enfants et franchis le petit portail donnant accès aux logements des domestiques. La nuit n’était pas très avancée, et une activité bruyante régnait encore dans la cour s’étendant devant leurs chambres minuscules, où flottaient également les odeurs des cuisines voisines. Ceux qui m’aperçurent s’inclinèrent avec un peu d’hésitation, se demandant sans doute ce que je faisais là, mais je les ignorai.
Un tournant à droite et quelques pas me conduisirent devant un autre portail, gardé celui-ci, car il ouvrait sur les jardins du palais. Après avoir chargé une des sentinelles d’aller voir si le Gardien se trouvait dans son bureau et s’il consentirait à me recevoir, j’attendis, le dos tourné au tumulte joyeux des domestiques. L’homme revint presque aussitôt et me fit signe de passer. J’avais de la chance. Le Gardien travaillait encore.
Les bureaux des ministres de Pharaon s’appuyaient contre les deux murs à angle droit séparant le palais des serviteurs et des invités officiels ; ils se trouvaient à deux pas du bureau privé du Roi et de la salle de banquet. Après le portail, j’obliquai à gauche et marchai jusqu’au bureau de l’homme qui avait la haute main sur tous les aspects de la vie du harem. La porte était ouverte, et en m’avançant sur le seuil, je vis qu’il rangeait des rouleaux de papyrus dans un coffre. Dès qu’il m’aperçut, il referma le couvercle et s’inclina. « Entre, dame Thu, dit-il. En quoi puis-je t’être utile ? » Puis il congédia son scribe en déclarant : « Tu peux emporter ce coffre dans la salle des archives, à présent. » L’homme obéit et sortit après m’avoir adressé une ébauche de salut. Je le suivis du regard jusqu’à ce que l’obscurité l’eût englouti.
Amonnakht me souriait, une main posée sur son bureau, et brusquement, je ne sus plus que dire. Voyant mon hésitation, il me désigna un siège, puis la cruche de vin à côté de lui. Mais je secouai la tête. « Hounro m’a demandé de l’aider à mettre fin à ses jours, Amonnakht », confessai-je enfin d’une voix qui sonna suraiguë à mes oreilles. Son sourire s’effaça, et il me regarda d’un air grave.
« C’était cruel de sa part, commenta-t-il. Cruel et inutile. Je suis navré, Thu. Sa requête a dû te bouleverser. Si j’avais été informé de sa lâcheté, je lui aurais envoyé un des médecins du palais.
— Elle est folle de terreur, poursuivis-je, me sentant obligée malgré moi de prendre sa défense. Elle refuse de faire appel à un homme du palais de peur qu’il ne la fasse mourir dans d’atroces souffrances par malveillance. Il lui est impossible dans son état d’imaginer d’autres émotions que les siennes.
— Elle n’en a jamais été capable, dit le Gardien qui, me prenant par le bras, m’attira vers une chaise. Ne la prends pas en pitié, Thu. Et pour ton propre bien, je t’engage à ne pas accéder à sa demande ridicule.
— J’ai déjà accepté, répondis-je. Que pouvais-je faire d’autre ? Le Prince Ramsès m’a laissée libre de décider et, lorsque je l’ai vue, échevelée, égarée, en larmes, j’ai su que je ne pourrais pas la raisonner. Demain est l’avant-dernier jour. Si je ne l’aide pas, elle mourra dans le sang et le déshonneur. » Amonnakht me regarda d’un air pensif, puis soupira.
« Certains diraient que vous récoltez toutes les deux ce que vous avez semé autrefois, remarqua-t-il. Hounro mourra de la main de la femme qu’elle avait utilisée pour perpétrer un autre assassinat, et tu te vengeras d’elle d’une façon parfaitement légitime. La boucle de vos destinées sera ainsi bouclée. Hounro a appris trop tard la loi des conséquences, et toi, ma chère Thu, tu n’as plus le cœur d’une meurtrière. Je le sais. Pharaon aussi. Il n’y a que toi qui en doutes encore. Qu’attends-tu de moi ? »
J’écoutai moins ses paroles que leur intonation, apaisante, rassurante. C’était ainsi qu’il calmait les concubines hystériques, qu’il réprimandait les indisciplinées ou lisait les décisions de Pharaon. Je savais toutefois qu’il ne cherchait pas à me manipuler. Nous nous connaissions trop bien. Il parlait avec sincérité et sollicitude, et c’était ce qui me réconfortait. « Je veux que tu sois témoin que la requête est venue de Hounro, dis-je avec difficulté. Le soldat qui m’a accompagnée dans sa cellule le confirmera. Je veux que tu prépares un document où seront consignés ses paroles, le fait que le Prince était au courant et mon accord. Ensuite, je veux que tu viennes avec moi dans l’officine du harem, en compagnie d’un des médecins du palais, et que tu me regardes travailler en notant les ingrédients dont je me sers. » Les poings serrés, je cherchai son regard. « Personne ne doit pouvoir dire que j’ai agi sans autorisation, ni que, pour me venger, je lui ai préparé un poison qui l’a fait atrocement souffrir. Il est déjà assez pénible de savoir que tout le monde l’apprendra, se rappellera mon passé et ricanera !
— Je comprends », fit-il en hochant la tête. Brusquement et de façon surprenante, il s’accroupit devant moi et, prenant mon visage entre ses mains, m’effleura les lèvres de ses pouces. « Dans deux jours, le Prince te libérera, dit-il doucement. Tout sera fini, Thu. Tout. Il t’appartiendra alors de recommencer ta vie, de trouver des amis qui te réapprendront à rire, une terre fertile qui te nourrira, et peut-être un homme qui déversera sur toi les huiles curatives de l’amour, si bien que tu pourras de nouveau te regarder dans ton miroir et y voir une femme chérie et revenue à la vie. Mais il faut que tu veuilles tout cela. Tu dois te jurer de faire du passé un tissu aussi fin et élimé qu’une robe trop portée. T’en sens-tu capable ? » Je lui serrai les mains, bouleversée de le voir renoncer ainsi à son détachement habituel.
« Oh, Amonnakht ! m’écriai-je d’une voix étranglée. Tu m’as toujours soutenue, envers et contre tout. » Il eut un sourire amusé et se releva, reprenant son expression impassible.
« J’ai été le fidèle serviteur de Pharaon, dit-il. Et tu t’es révélée impossible à ignorer. » S’avançant sur le seuil, il jeta un appel bref, et un serviteur apparut aussitôt à qui il ordonna d’aller chercher son scribe. « Tu lui dicteras le texte de ton choix, reprit-il en regagnant son bureau. Je le signerai, puis l’enverrai au Prince en lui demandant d’en faire autant. Ensuite, nous nous rendrons dans les magasins du harem. »
Lorsque le scribe arriva, je fis ce que le Gardien avait suggéré, et lorsque j’eus fini, il inscrivit son nom et ses titres au bas du papyrus. « Apporte-le sur-le-champ au Prince Ramsès, dit-il au scribe. Lorsqu’il y aura apposé son sceau, tu le classeras dans les archives avec les autres documents concernant la concubine royale Thu. Tâche aussi de trouver le médecin royal Pra-emheb et demande-lui de venir me rejoindre dans les magasins du harem. » Puis, remplissant une coupe de vin, il me la tendit. « Allons, buvons à l’avenir, fit-il. Et remercie les dieux de leurs bienfaits. J’ai un plat de pâtisseries quelque part, pas toutes fraîches sans doute mais encore savoureuses. En veux-tu ? »
Nous trinquâmes, bûmes et grignotâmes des sucreries, si bien que, lorsque nous quittâmes son bureau un peu plus tard, j’avais retrouvé mon équilibre.
Le scribe et le médecin nous attendaient devant l’entrée des magasins. Un domestique se tenait à l’écart, une lampe à la main. « Tout a été fait selon tes instructions, Gardien, déclara le scribe. J’ai trouvé Son Altesse dans les jardins en compagnie de sa femme. Le papyrus a été cacheté et rangé dans les archives. » Je poussai un soupir de soulagement, me demandant ce que Ramsès avait pensé de mon désir de voir enregistrer officiellement mon rôle dans le suicide de Hounro. Sans doute s’était-il souvenu d’un autre document, celui qui me promettait une couronne de reine et qui avait si opportunément disparu.
Je ne pus m’empêcher d’interroger le scribe sur les réactions du Prince.
« Son Altesse n’a fait aucun commentaire, dame Thu, répondit-il. Après avoir lu ton papyrus, elle a seulement remarqué que tout était comme cela devait être. » Une réponse ambiguë, qui lui ressemblait bien, pensai-je avec une grimace. Puis Amonnakht me présenta au médecin Pra-emheb, qui s’inclina devant moi, les yeux brillants de curiosité.
« Soignes-tu personnellement le Roi ? demandai-je, tandis que nous pénétrions dans le bâtiment. Comment se porte Sa Majesté ?
— Je suis à son chevet dans la journée, répondit-il. Nous ne pouvons guère faire autre chose qu’adoucir ses derniers moments. Ses jours sont comptés. Il ne mange plus que des fruits, avec beaucoup de difficulté, et ne veut boire que du lait.
— Se lève-t-il encore ? Souffre-t-il ? » Et regrette-t-il le savoir-faire de Houi ? avais-je envie d’ajouter. Revit-il les moments où j’étais couchée près de lui, et où le feu du désir courait dans ses veines au lieu des fluides glacés et mystérieux de la mort ? Le médecin haussa les épaules.
« Il aime qu’on l’adosse à ses coussins de temps à autre, mais cet effort l’épuise. Je ne crois pas qu’il souffre beaucoup. Nous mettons du pavot dans son lait. Les membres de sa famille sont auprès de lui, mais ce sont les prêtres qui lui apportent le plus de réconfort. » Pauvre Ramsès, songeai-je avec tristesse, les yeux fixés sur la flaque de lumière répandue par la lampe du serviteur et sur la tunique bleue d’Amonnakht, devant moi.
Nous parvînmes bientôt dans la pièce où j’avais récemment choisi des plantes médicinales pour ma consommation personnelle. Le scribe posa sa palette sur un banc et y étala une feuille de papyrus vierge. « Je veux que tu prépares une potion, dis-je au médecin. Je t’indiquerai la marche à suivre. Je procède ainsi pour qu’il soit impossible de m’accuser de tromperie, d’avoir substitué un ingrédient à un autre. Je te demanderai également de vérifier avec le Gardien le compte rendu établi par le scribe. Tu es d’accord ?
— Je ne vois pas pourquoi je suis ici, protesta le médecin en fronçant les sourcils. Tu aurais pu me demander un remède sans toute cette mise en scène, Amonnakht.
— Dame Thu est un médecin accompli, expliqua le Gardien. Elle a été choisie par le Prince, sur les instances d’une des condamnées, pour préparer le poison qui permettra à celle-ci de mettre fin à ses jours. De manière fort compréhensible, elle souhaite que cette tâche désagréable soit consignée dans ses moindres détails.
— Oh ! fit Pra-emheb. Dans ce cas, tu as toute ma sympathie, dame Thu. Que désires-tu ? » Le scribe était prêt, calame suspendu au-dessus du papyrus. Je m’efforçai de parler d’une voix neutre.
« Rien de très compliqué, déclarai-je. J’ai décidé d’utiliser le bulbe de la fiente-de-pigeon, moulu et mélangé à une bonne quantité de pavot. Qu’en penses-tu ? » Je le vis passer mentalement en revue les différentes autres possibilités avant d’acquiescer lentement de la tête.
« C’est un bon choix pour une mort indolore, dit-il. Pas de convulsions, pas de vomissements ni de diarrhée, un arrêt rapide de la respiration. Le bulbe est la partie la plus mortelle de la plante, bien entendu, et, moulu, il donnera sans doute un ro de poudre. Combien pèse la condamnée ?
— Pas très lourd, répondis-je aussitôt. Elle a… maigri depuis son incarcération. Mais j’emploierai deux bulbes pour plus de sécurité. Je ne veux pas qu’elle souffre. » Je trouvais haïssable cette conversation froide et impersonnelle : nous ne discutions pas du meilleur traitement à appliquer pour soigner les vers intestinaux mais d’un poison destiné à tuer. Une fois ma décision prise dans mon for intérieur, sans fanfare, j’aurais préféré me contenter de quelques instructions données à la hâte. Mais Pra-emheb semblait prendre plaisir à étaler sa science, ou à se donner une fausse importance par ce moyen.
« Deux bulbes feront l’affaire, poursuivit-il. Peu importe à ce moment-là qu’ils soient frais ou séchés. Dans le premier cas, naturellement, il faudra les préparer…
— Je sais préparer tous les poisons et remèdes utilisés en Égypte, et bien d’autres encore, coupai-je brusquement. Je n’ai pas besoin d’un cours. Tu n’es pas ici pour me conseiller mais pour suivre mes instructions. » Il s’écarta d’un pas et regarda Amonnakht d’un air profondément offensé, mais après m’avoir jeté un regard réprobateur, le Gardien déclara d’un ton apaisant :
« C’est une affaire pénible. Nous sommes tous bouleversés. Pardonne-lui, Pra-emheb, et finissons-en le plus vite possible. » Je retins la riposte qui me montait aux lèvres.
« Hounro n’est pas une « affaire » », murmurai-je, mais le médecin s’était déjà dirigé vers les étagères et répétait tout bas : « fiente-de-pigeon, fiente-de-pigeon ». Tout à coup, sa main s’immobilisa dans les airs. « Je sais qui tu es ! s’exclama-t-il. Je me souviens du scandale. Je débutais dans la profession à l’époque, et je ne soignais que les serviteurs du palais, mais cela a fait beaucoup de bruit. Tu… »
De nouveau, je le coupai : « Tais-toi, Pra-emheb, fis-je d’un ton mi-suppliant, mi-menaçant. Je ne veux plus en entendre parler. J’ai subi ma punition et maintenant, c’est fini. Fini ! » Brusquement, un vertige me prit, et je me laissai tomber sur un des coffres encombrant la pièce. « Accomplis simplement ta tâche et va-t’en, je t’en prie. » Amonnakht posa une main réconfortante sur mon épaule, et Pra-emheb se mit au travail.
Le visage fermé, il prit deux bulbes dans un coffret, puis sortit un couteau du petit sac pendu à sa ceinture. Avec adresse, il dénuda le tronçon de tige racorni et sectionna les racines desséchées. Puis, après avoir découpé les bulbes, il les pilonna dans un mortier. Ils dégagèrent une odeur amère, terreuse, et je savais que, quel que soit le liquide utilisé pour les diluer, ils auraient ce même goût âpre et malfaisant. La sueur commença à perler au front du médecin, car la tâche était ardue. Amonnakht ordonna au serviteur d’aller chercher du natron et une cuvette d’eau chaude. L’homme s’éloigna, faisant résonner du bruit de ses pas la grande pièce voûtée, et j’allai examiner les étagères à la recherche d’un récipient où verser la potion finale. Je trouvai un pot de pierre au bec large, juste au moment où Pra-emheb achevait son pilonnage.
« Et maintenant ? » demanda-t-il en s’essuyant le visage sur son pagne. Je lui tendis le pot.
« Remplis-le à moitié de poudre de pavot et ajoute la fiente-de-pigeon, dis-je. Je compléterai avec du lait.
— Une quantité pareille de pavot ! s’exclama-t-il. Mais cela seul suffira à affecter ses battements de cœur.
— Précisément, fis-je d’un ton las. Je veux qu’elle succombe aux effets soporifiques du pavot avant que la fiente-de-pigeon n’agisse. » Je ne pouvais lui reprocher cette réflexion, apparemment stupide. Il avait eu une réaction de médecin, instinctive et immédiate. J’aurais aimé avoir la même innocence. « As-tu pris note de tout ? » demandai-je au scribe, qui acquiesça et continua d’écrire.
Pra-emheb versa la poudre de pavot dans le pot. Les bulbes pilés suivirent. Alors qu’il me tendait le récipient, le serviteur revint avec une cuvette fumante et une assiette de natron, et le médecin se lava énergiquement les mains. Je savais qu’il cherchait à nettoyer plus que sa chair. J’avais envie de faire la même chose. « Merci, Pra-emheb », dis-je. Il garda le silence. Le pot à la main, je sortis du magasin.
Je ne me rendis compte qu’Amonnakht me suivait que lorsqu’il m’adressa la parole. « Ne lui en veux pas, Thu, remarqua-t-il. C’est une tâche pénible pour un médecin.
— Tu n’as pas besoin de me le dire ! hurlai-je. Je suis médecin, moi aussi, tu l’as oublié ? Crois-tu que cela ne me fasse pas plus d’effet qu’une piqûre d’épine ? Dois-je payer éternellement pour les péchés de ma jeunesse ? » Sans répondre, il se pencha et me prit le récipient des mains.
« Quelle quantité de lait faut-il ajouter ? » demanda-t-il. Je n’entendis pas tout de suite, rendue sourde par la fureur qui faisait battre le sang à mes oreilles, mais ensuite je compris et m’apaisai d’un coup.
« Tu n’as pas à te charger de cela, Amonnakht. C’est moi qui ai donné ma promesse, pas toi.
— Tu en as fait assez, répondit-il. Je suis le Gardien de la Porte. J’ai la responsabilité de toutes les femmes se trouvant dans l’enceinte du palais. Je m’acquitterai de cette obligation à ta place. Quelle quantité de lait ? » C’était une belle nuit : des étoiles filantes striaient le ciel, l’air était doux et sentait l’herbe humide. Je respirai à pleins poumons.
« Une demi-tasse, dis-je. Ensuite, il faut bien secouer le pot et rajouter du lait, en ne laissant que la place du bouchon. Tu vas le lui porter, Amonnakht ?
— Oui. Et je resterai près d’elle quand elle le boira.
— Il faut l’agiter encore une fois avant de le verser, et elle doit l’avaler d’un coup, sinon son goût âpre l’empêchera de terminer. Mais, après avoir ajouté le lait, laisse le tout reposer jusqu’à demain. Veilles-y comme sur la prunelle de tes yeux, Amonnakht. Si un serviteur le buvait en le prenant pour du lait, je ne me le pardonnerais jamais.
— Et moi non plus, dit-il en souriant. Je t’avertirai lorsque tout sera fini. Bonne nuit, Thu. » Il s’éloigna sans plus attendre, enveloppé dans ce manteau invisible d’assurance et de dignité qui n’était qu’à lui, et je regagnai ma chambre, le cœur plus léger.
Là, je me déshabillai et, après avoir envoyé Isis chercher du vin, je me rendis dans les bains déserts, où je me lavai avec fièvre, me frottant vigoureusement la peau avec les cristaux de natron rugueux, puis déversant sur ma tête cruche après cruche d’eau pure. Des picotements sur tout le corps, mais frissonnant pourtant, je retournai dans ma chambre et me couchai. Le vin était sur la table, une coupe pleine m’attendait. Je remerciai Isis et la renvoyai. À peine avait-elle quitté la pièce que j’avais vidé la coupe et m’en remplissais une autre.
Je continuai à boire, adossée à mes coussins, goûtant la chaleur du vin dans mon estomac, y cherchant l’oubli des images trop vives qui m’obsédaient. C’était un excès inoffensif, un refus passager d’affronter les tensions du moment, et je me laissai flotter sur les vapeurs de l’alcool.
Elles ne m’emportèrent pas dans le passé, où le désespoir aurait pu me submerger, mais dans l’avenir : je me vis en compagnie de Kamen et de Takhourou dans un domaine paisible aux jardins luxuriants et ombreux, où des parterres colorés bordaient les allées de pierre, où des lotus égayaient de leurs fleurs blanches et roses la surface paisible de l’étang aux poissons. Une barque blanche à la voile jaune vif serait amarrée à notre modeste débarcadère. Nous y monterions parfois pour aller rendre visite à Pa-ari et aux grands-parents de Kamen, mais surtout pour aller nous promener sur l’eau au coucher du soleil, et regarder les grues blanches déployer leurs grandes ailes ou les ibis huppés immobiles dans les bouquets de roseaux des berges.
Il y aurait des voisins, des gens agréables que nous inviterions de temps en temps à dîner dans notre salle de réception, petite mais belle. Assis sur des coussins devant de petites tables jonchées de fleurs, nous savourerions notre vin et dégusterions les plats raffinés de notre cuisinier en échangeant des potins sur les gens et les affaires de la région. Le Prince Ramsès, devenu le Taureau puissant, nous ferait peut-être l’honneur d’une visite, provoquant l’émoi et la jalousie de nos voisins. Men et Shesira viendraient eux aussi, et je partagerais avec la mère adoptive de Kamen des anecdotes sur ce fils que nous avions en commun, tandis qu’il plaisanterait amicalement avec ses sœurs.
Je me remettrais à la médecine, mais pas tous les jours, car j’aurais à m’entretenir du bétail et des cultures avec mon surveillant, à tenir les comptes des récoltes et des bénéfices. Et puis il y aurait peut-être des petits-enfants, des bébés ayant les traits aristocratiques délicats de Takhourou et le regard intelligent de Kamen, dont les petits doigts bruns s’agripperaient aux miens et qui tituberaient sur les pelouses à la poursuite de papillons ou de feuilles soulevées par le vent.
Sous cette rêverie agréable provoquée par le vin, à laquelle je m’abandonnais avec le soulagement d’un lièvre traqué par une meute de chiens, la réalité continuait néanmoins à palpiter, menaçante.
Houi était en liberté, quelque part.
Et demain était le septième jour.